batman & skywalker (anakin&leia)

Me réveiller dans le noir le plus complet. C’était devenu une habitude de n’avoir aucune différence entre les yeux fermés et ouverts. On ne se demandait plus si on venait de sortir du sommeil ou si on y était encore. On agitait juste ses membres, pour poser les pieds par terre, et se guider à l’aide d’une main qui trouvait un mur, et accessoirement de sa mémoire spatio-temporelle. On arrêtait aussi de s’arrêter au côté glauque d’un hôtel plongé dans le noir où seul un rai de lumière devant de la lune ou des étoiles perturbait cette noirceur digne de l’Enfer où nous étions tous plongés depuis cinq ans.

Je ne me réveillais plus en retard à courir pour enfiler un jean, un pull et choper mon sac d’étudiant, non, plus de réveil, juste cette espèce d’habitude qui faisait que l’horloge interne devenait fonctionnelle. Je m’étais rendu compte à quel point l’époque moderne transformait les humains en de véritables assistés incapables de se réveiller sans la musique d’un téléphone portable, et encore pire maintenant que cette musique était devenu le clairon de la personne la plus détestée de la ville, probablement.

Après avoir enfilé donc de façon plus posée ce pull et ce jogging que j’avais eu par les petites mains, je me dirigeai vers mes chaussures, que j’enfilai en pilote automatique. Après quoi, je sortis sans faire de bruit pour mon colocataire, et je m’en allai vers les escaliers, descendant les étages sans me presser, évitant de me rétamer et partir pour l’infirmerie. Je n’avais pas l’intention de me coltiner des jours de convalescence, sans compter que je pourrais aussi y laisser ma peau.

Une fois en bas, je vis le brasero devant l’hôtel qui offrait un peu de lumière, principalement pour Batgirl qui se trouvait comme d’habitude à son comptoir, probablement à se faire chier comme un rat mort – quoique la condition du rat mort était probablement enviable, puisqu’une fois mort, tu devais certainement t’en foutre. Je voyais de loin aussi quelques ombres, des travailleurs de nuit. C’était aussi silencieux qu’une tombe, tout au plus des chuchotements, comme si les ténèbres ne devaient pas être dérangées.

Je ne voyais rien encore, tout au plus des points de lumière, mais ça ne m’empêchait plus de vivre pour autant. C’était comme si j’étais aveugle, et certains aveugles s’en sortaient relativement bien, n’est-ce pas ? En tout cas, ça ne m’empêcha pas d’arriver sans trop galérer devant Bat’ et de commencer à fredonner le générique du dessin animé le plus populaire de Batman. C’était un peu ma façon de dire bonjour, et de l’emmerder aussi, visiblement, puisqu’elle avait tendance à répondre à ces provocations, voire même à les initier d’elle-même. Et comme je me sentais d’humeur poli, je lâchai même en imitant la voix de Batman : « Bonjour ! Toujours d’humeur nocturne ? », juste pour pousser le vice un peu plus loin.

Ca mettait en jambe pour le reste de la journée, et au moins, j’étais un chic type de lui occuper ses nuits.

La routine c'est quelque chose d'assez spécial. Avant l'apocalypse, personne ne s'en rendait vraiment compte. Pour être franc, les gens cherchaient même à y échapper. Ils voyaient la routine comme l'ennui, et se disaient que l'ennui était signe de malheur. Les gens tentaient tout et n'importe quoi pour éviter la routine. On s'est battu contre des modes de vie entiers pour y remédier. Et puis un jour, clac, tout a sauté. Le monde a basculé et la notion de routine est sorti du vocabulaire de n'importe quel être humain. Courir pour sa vie, tuer des infectés, fuir ses semblables, ne plus savoir si ça vaut le coup de continuer. Combat perpétuel, sans plus jamais avoir le temps de souffler. Plus rien n'était stable, plus rien ne pouvait être stable. Pas même le droit de dormir ou de manger à sa faim.

Aujourd'hui, Destiny donne une deuxième chance à la routine. Elle donne l'opportunité aux survivants de donner une nouvelle appréciation à cette bonne vieille routine. Peut-être que c'était elle, qui avait déclenché l'apocalypse. La routine, abusée, violentée et détestée par ceux qui lui devaient tout. Qui lui devaient une vie et un bonheur à portée de main. Mais l'humain est ingrat, toujours prêt à trouver une excuse à son malheur qui n'a rien à voir avec sa responsabilité. C'était peut-être la leçon à tirer de tout ça, avoir une nouvelle appréciation pour la routine et tout le bien qu'elle apportait. Parfois Leia se demandait si ce qui s'était passé il y a de ça quelques années avait vraiment un sens, un but. Lorsqu'on étudie l'Histoire, on peut souvent voir l'ego de l'Humain à la tête des grandes tragédies de son passé, mais de cette tragédie là, on avait encore rien pu en tirer.

Parfois, la standardiste y pensait. Se demandant si la situation actuelle aurait pu être évitée. Faut dire qu'elle ne se souvenait que de manière très floue du passé. Tout avait un voile qui semblait impossible à faire tomber et ça l'éloignait de cette nostalgie qui régnait dans le cœur de la plupart des rescapés. Sans doute qu'elle s'ennuyait un peu plus que les autres, à Destiny, qu'elle avait un peu moins ce sentiment fort d'être sauvée, d'avoir l'occasion d'avancer. Bloquée dans sa temporalité toute pétée, Leia ne cherchait pas vraiment comment l'avenir allait se dessiner. Elle se contentait de le voir arriver, observatrice principalement silencieuse de toutes les actions amenées.

Une nouvelle nuit tombait sur la ville qui donnait une dernière chance à la vie et la brunette sortait de sa chambre pour rejoindre son poste. Le monde vrillait, bougeait, et vivait, tandis qu'elle, elle griffonnait sur ses papiers. Quelques sourires alors que peu à peu, tout le monde va dormir. Rien d'autre que de la politesse alors que le cœur de la ville s'endort, ne laissant qu'elle et les travailleurs silencieux encore en vie. Enfin seule, la veilleuse prend ses aises, étalant ses pieds sur une chaise qui traîne, laissée par Bob ou Ivy lors d'une de leurs venues et commence à jouer avec un stylo entre ses doigts. De ce jeu enfantin qui consiste à le faire tourner entre ses phalanges. Concentrée sur son geste, elle ne remarque d'abord pas la présence masculine qui rentre dans son champ de vision. Mais c'était sans compter sur la fâcheuse tendance d'Anakin à être tout, sauf discret. Le fredonnement la sort de sa concentration pour lui laisser un regard blasé à l'encontre de celui qui se tient droit comme un piquet. Un peu plus, elle le rembarrait, pas tellement d'humeur à jouer. Mais son imitation ratée de Batman pour la saluer ne la laisse pas de marbre, un sourire fin se dessine sur ses lèvres alors qu'elle soupire, retenant un rire.

Sans décaler ses pieds de la chaise, elle lui répond d'un ton très sarcastique. « Bonsoir. Toujours du côté obscur, daddy ? » Quelle était la probabilité de trouver un inconnu ayant survécu à l'apocalypse ayant un nom lié au sien pour la pop-culture. « Tu passais juste faire ta blague de merde avant d'aller jouer ailleurs où tu comptes veiller à ce que je ne devienne pas aussi mauvaise que toi toute la nuit ? » Quand elle s'y mettait, Leia n'était pas ce qu'on pouvait appeler des plus délicates. Mais avec Anakin, c'était de bonne guerre. Sans daigner relever ses pieds, elle lui lance, toujours sur le même ton. « Quitte à me faire chier, tu pourrais au moins me raconter un joli conte de fée, comme le parfait daddy que tu es. »

Qu'il parle. Après tout, ça fera passer la nuit plus vite et ça lui évitera de se perdre dans ses pensées. Plus le temps passe ici et plus Leia a du mal à ne pas se perdre dans les méandres de son cerveau. Toujours persuadée qu'il vaut mieux qu'elle ne sache pas tout ce qu'il contient, elle ne peut finalement qu'apprécier la compagnie de quelqu'un pour lui occuper l'esprit.

Je fus accueilli par la même Leia qu’habituellement. C’était comme une horloge parfaitement réglée, aucun défaut – ce qui était un miracle dans ce monde encore plus imparfait qu’il ne l’était autrefois. Son ton sarcastique, sa façon de me considérer comme son père, à cause de nos prénoms respectifs : « What else, ma fille ? » Je m’accoudai à son comptoir, m’appuyant sur mes avants bras. J’étais encore un peu las du réveil, même si les escaliers mettaient sacrément en jambe, surtout dans le noir. Certes, j’étais un survivant, et je n’avais jamais été particulièrement gros, pour autant, je tenais bien plus du nerd que du sportif, et ce depuis gosse. Alors, oui, des escaliers, c’était du sport pour moi.

Je ris un peu en pensant aux spots télévisés vantant les bénéfices du sport, dans ce pays qui était ravagé par le fléau de l’obésité, ceux qui préconisaient au moins une demie heure de dépense physique par jour. Entre ça, et les campagnes affichées dans mon ancienne faculté, j’avais bien fini par comprendre que le sport était nécessaire. Enfin. Il n’en restait pas moins que j’étais Anakin.

Accoudé comme ça face à elle, je pouvais presque la voir, c’était un peu agréable de pouvoir observer une personne en face tout en parlant. Surtout qu’elle ne pouvait pas tellement, ça me permettait de pouvoir me focus un peu. « Jouer ici, ça me paraît bien, on ne change pas une famille qui gagne, Bat’. » Et elle continua avec cette tendance absolument adorable à m’envoyer chier tout en me donnant une raison de rester. J’adorais voir cette espèce de phénomène opérer chez les gens qui me côtoyaient. Dégage ! Non, reste. Vas-y, casse-toi ! Tiens moi compagnie, s’il te plaît. Est-ce que je faisais un effet répulsif-attirant incompréhensible ? Je savais que certaines réactions chimiques tenaient de ce genre d’attraction, mais dans la vraie vie, dans les relations humaine… Ca restait aussi intéressant à échelle visible que dans un microscope. Ca avait même le don de désormais m’amuser assez pour que ça passe le temps.

Ainsi, elle demandait un conte. Pfiou, elle en avait d’autres des comme ça ? « Je voudrais bien, si encore j’avais un café. Mais ce n’est pas encore l’heure de la cuisine, donc tu m’en voudras pas, je passe mon tour. » Je soupirai, vu l’heure, j’en avais pour probablement encore une heure et quelques à attendre avant d’obtenir le fameux breuvage qui allait me permettre – pur effet placebo, on ne le répètera jamais assez – de tenir la journée qui allait défiler. Avant, j’avais quand même besoin de me préparer psychologiquement à tout ce que j’avais à faire, à ce qui manquait, ce genre de choses. « Ou alors, je pourrais te raconter des trucs pas forcément très intéressants. On est à Destiny, child. » Et avant que vous demandiez, non, je n’avais pas pensé au calembour idiot avant que ça ne quitte ma bouche. J’aurais bien fait un facepalm pour moi-même, mais là, j’étais légèrement avachi, avec une flemme extraordinaire. Je me contentai d’un rire court, un peu idiot. Et j’ajoutai « No comment. »