dancing queen (raksha)

Ah, il a râlé. Il a pesté. Mais pas tout de suite, quand je suis entrée dans l'église, il m'a ignoré. Comme d'habitude. Je le salue, & vais à mon autel, je prie. Je prie pour qu'il accepte enfin cette cohabitation qu'il se force à affronter mais qu'il n'assume pas. Pourtant, je ne pense pas être de mauvaise compagnie, au contraire. J'apporte un peu de vie à son église, où peu viennent se confesser.
Il n'est plus seul, le Père Jaxson. & même s'il me déteste, je sais qu'au fond, si je partais, je lui manquerai. Un sursaut d'orgueil, je le reconnais volontiers.
Mais face à sa fierté, je suis sûre que nous avons plus en commun qu'il ne le prétend. Mais j'ai pris mes marques, je me suis habituée à l'endroit & à mon quotidien.
Je rentre, salue sans un retour, prie & commence à chantonner. C'est là qu'il commence à parler dans sa barbe, m'écouter chanter doit l'ennuyer. Là où bruit est un cadeau pour les dieux, il offre son silence & la paix au sien.
Au fond, je pense que je l'apprécie. Un tout petit peu, & je respecte sa foi ainsi que la dévotion inébranlable. Il est fascinant & énervant.

Je finis par ouvrir les grandes portes de l'église & laisse entrer la lumière & l'air frais. La poussière & les ombres ont vite pris place en ces lieux, il serait temps de les chasser.
Il ne vient pas fermer les portes, ce qui est une bonne chose. Mais il râle, & en soi, ça donne un rythme à mes chants.
Je porte mon sari vert que j'ai mis de sorte de pouvoir être libre de mes mouvements. Une coupelle en fer rouillé & une touffe d'herbe sèche, j'y mets le feu & sors devant les portes.
Je prie le dieu Agni. Un tour de la bolinette par ci, un tour par là. & je chante, danse... & il râle de plus fort. M'accusant d'enfumer l'église, mais je n'écoute plus. Je rentre dans ma transe & je danse.
A ne plus voir le monde. A m'évanouir dans la pénombre.
Le feu s'évanouit & je pose la coupelle au sol, laissant la fumée s'évaporer autour de moi.
& je danse en chantant. Des signes religieux de la main, un arrêt, un signe d'amour & je reprends les grands mouvements de la danse traditionnelle & religieuse indienne.

Au bout d'un long moment, je finis par poser mes yeux sur un homme. Le teneur de registre. Moi qui voulais me tenir à l'écart des hommes, j'en suis constamment entourée.
Reculer ou affronter ? J'ai le feu d'Agni en moi, je suis veillée & aimée. Je ne risque rien.
Je continue de danser & malgré la gène de son regard posé sur moi, je finis par m'arrêter devant lui. Le souffle court, la sueur au front, mais l'esprit apaisé. « Mr. Raeth, c'est ça ? » Je me ventile avec la main pour essayer de baisser la température de mon corps, c'est tout un sport de danser. « Je ne vous ai jamais vu près de l'église. Vous êtes croyant ? »
Je finis par m'essuyer avec le dos de la main & je lui souris chaleureusement, faisant teinter les nombreux bracelets sur mon poignet. Je replace instinctivement ma boucle & lui tend la main. « Que diriez-vous d'une danse ? »
Del Raeth avait la réputation d'être un homme discret, bizarre & imprévisible. Mais le jugement des uns ne fait pas mon jugement, malgré son regard un peu perdu, je le trouvais charmant.
& quoi de mieux qu'une danse pour faire connaissance ?
Ce ne sera pas forcément une danse religieuse mais rien qu'un pas ou deux de valse peut réchauffer les cœurs. & les mœurs.