she's like the wind (alix)

she's like the wind

alix & del

Le film a à peine commencé et tu te tiens toujours debout, à scruter les visages des gens autour de toi. Tu les reconnais, mais tu vois aussi leurs traits passablement agacés parce que tu restes debout et tu les empêches de voir l'écran géant. T'as beau reculer de quelques pas, tu te sens mal à l'aise et tu n'arrives pas à t'asseoir dans un coin pour profiter. Le film commence, les protagonistes sont déjà bien implantés dans le décors, et tu déglutis alors que tu bouscules quelqu'un et manques de tomber sur lui. Une foule aussi dense à tes yeux t'angoisses, et tes mains se resserrent contre le Registre. C'était pas une bonne idée de venir ici, de voir autant de groupes, autant de gens. Tu pensais être passé au dessus de la tuerie de masse, mais c'est pas le cas alors que tu vois le monde autour de toi et que tu t'inquiètes de savoir quand ils arriveront. Et tu n'as rien pour te défendre. Tu fermes les yeux, te mords la lèvre au sang, et tu te figes sur place jusqu'à être repoussé par un gars que t'ennuies à rester sur place. Il te grogne dessus et tu finis par rebrousser chemin en courant presque jusqu'à l'Hôtel. T'as vu personne que tu connaissais sur le chemin, t'es seul, à croire qu'ils se sont tous retrouvés pour le film, et tu vas être le seul pétri d'angoisses à pas être capable de suivre le mouvement sans avoir des pensées négatives. Un moment tu t'arrêtes et tu regardes en arrière. Tu voudrais bien y retourner, peut-être essayer de retrouver ton frère dans la foule, mais tu sais déjà à l'avance que ça va être très compliqué. Tu soupires un grand coup, tes mains posées sur tes genoux comme pour reprendre ton souffle après une course d'à peine trois cents mètres, et tu restes comme ça quelques instants. Tant pis. Tu laisses tomber. Les yeux papillonnant à droite et à gauche, tu tournes le dos à l'écran géant et tu marches vers l'Hôtel, les muscles et les mouvements tendus et raides. Le Registre toujours caché dans ton gilet, tes mains croisées par-dessus pour que rien ne tombe, tu finis par arriver à l'entrée dudit dortoir, et tu avises un banc libre. Assis, tu imagines le film se dérouler devant tes yeux, essayant de te calquer sur le rythme que les autres ont certainement. Sauf que tu te rappelles pas de toutes les scènes et beaucoup de choses manquent dans ton photogramme, alors le film tu le finis bien plus vite que l'original, et sans entracte. Les mains posées sur tes cuisses, tu t'adosses bien confortablement au siège, les yeux rivés sur un des feux qui te réchauffe depuis ton arrivée. Un fin sourire aux lèvres, tu finis par sortir ton Registre pour le feuilleter à la lueur des feux nourris.

(c) DΛNDELION

She's like the wind

ft. Alix & Del

Tu ne comptais pas mettre les pieds là-bas. C'est ce que tu t'es dis au départ, alors que l'annonce a été faites. Un film diffusé pour la première fois depuis des années déjà. Sans doute aurais-tu pu y prendre part, te calmer un peu, retomber dans ces vieilles habitudes et toute la paix que pouvait apporter le visionnement d'un film avec des gens autour de soi, tel une salle de cinéma. Tu aurais pu, mais tu as préféré rester enfermée dans ta chambre pendant un bon moment. Tu n'avais pas le coeur à affronter une histoire d'amour sur le grand écran, même après cinq années de distance, de disparition de son âme sur cette terre. Puis, il y avait tout le reste qui s'y mêlait. Toute cette ambiance un peu trop humaine et complètement fausse, selon toi. Comment pouvait-on faire comme si de rien était, comme si tout était normal et qu'il n'y a jamais eu ces cinq années d'horreur pour vous mener là? À rire devant les idioties de ces personnages, à s'y attendrir tout en oubliant le reste. Pourtant, tu es la première à vouloir faire comme si de rien était, à effacer toutes ces horreurs de ta mémoire. Sauf que la réalité est là: Tu n'es pas encore prête à mettre les pieds devant ce film que ta douce adorait tant afin de faire l'hypocrite et agir comme si vous étiez à nouveau un peuple lié comme jadis.

Pourtant, au bout d'un moment, tu as réussie à te convaincre. Te convaincre de bouger, sortir, aller te coller le regard perçant sur ce film. C'était sans doute une mauvaise idée, mais ça t'éviterait de t'enfouir l'esprit dans cette tornade d'émotions que te fait ressentir le simple fait qu'il y a bel et bien un film qui a lieu un peu plus loin. Plutôt que de fixer le plafond et ressasser le négatif, tu te décides à enfiler tes bottes usées et quitter la chambre dans un pull bien trop grand et un jeans usé. Ça ne peut pas être si pire, tu te disais. Si d'autres le faisaient, autant présumer que c'était possible. Que ça pourrait te faire rire, vivre un peu. Du moins, c'est ce que tu te disais jusqu'à tomber sur lui. Sur Jeff. Celui qui appartient autant à ton passé que ton présent. Celui que tu imagines encore au pas de ta porte avec ses valises à te faire une déclaration de sentiments maladroitement. Celui que tu imagines encore arriver à Destiny avec ce regard effaré, perdu, traumatisé. Celui que tu sais que l'invasion a brisé bien plus que quiconque et tu en veux à la vie de l'avoir atteint lui plus que les autres. Parce que Jeff, c'est une part d'innocence, à tes yeux. C'est quelqu'un qui ne méritait pas tout le drame qu'il semble avoir vécu. Et pourtant, il est là, en train de feuilleter le registre, son ombre dansante derrière lui par la lueur des feux autour. Il n'est pas au film en train de s'y amuser, de vivre un peu. Sans doute qu'il n'y parvient pas, lui non plus, tu présumes. Tu le comprends. Cette foule fait peur, avec tout types de gens confondus. Qui sait s'il ne va pas y avoir quelqu'un qui viendra foutre la merde et causer quelques meurtres? Après tout, cette apocalypse de zombies aura détruit le cerveau et la sanité de plusieurs d'entre vous.

« T'es pas au film? » La voix est pourtant douce, légère, histoire de ne pas lui faire peur alors que tu prends tranquillement place à ses côtés sur le banc. La dernière chose que tu veux, c'est l'effrayer, après tout. Lui qui est le seul fil de ton passé avant même que tu ne deviens ce que tu étais. Avant même que tu ne sois cette criminelle. Avant même que Loreleï ne s'incruste dans ta vie. Lui qui aura vu ta chute sans réellement s'en rendre compte, sans le savoir. Il t'a connue alors que tu étais avec Nathan, alors que le plus grand drame que tu avais commise était de retirer tes vêtements sur une scène. Puis, tu t'es mise à vendre cette came et les choses dérapent. Comme ça, silencieusement. Tu ne sais même pas si Nathan lui a dit ce qu'il a vu, tout juste avant que tu ne le laisses. Qu'il a vu cette herbe et cet argent salement acquise. Le savait-il, Jeff ? Avait-il tout de même décidé de te pardonner et voulait tout de même fuir avec toi à Los Angeles? Tu n'en sais rien. Tout ce que tu sais, c'est qu'il ne sait pas la suite, ce que tu es devenue. C'est sans doute mieux ainsi, d'ailleurs. « Tu t'es fais quoi, à la lèvre? » C'est laissé dans un petit soupire d'inquiétude alors que ton pouce se passe contre la lèvre meurtrie. Et tu en veux, encore et toujours, à la vie d'avoir ainsi détruit Jeff au point de le savoir là, une lèvre à sang en train de regarder ses registres plutôt que de se perdre la tête dans un film et vivre un peu.

BY CΔLΙGULΔ ☾