tu as l'air en forme ce soir (anakin&elena)

Lancer le film n’avait pas été simple, au début. J’avais bien cru qu’on allait se faire huer quand le DVD qui était un poil rayé avait sauté, au démarrage. Mais au final, il avait juste été sympa et avait obéi, permettant à tout le monde de passer une bonne soirée, comme la mairesse le voulait. Et du coup, moi, je pouvais enfin me poser. Ca avait pas été une mince affaire, de collecter assez d’électricité pour les lumières, pour le rétroprojecteur, pour les baffles… Mais nous étions parvenu à charger à bloc des générateurs, et nous n’avions plus qu’à prier pour que tout tienne jusqu’à la fin du film.

Qui me disait même trop rien. Dirty Dancing… De tous les DVD que les trouve-tout avaient ramenés, fallait que ce soit ce truc. J’aurais même préféré un film d’horreur de zombie, tient. Juste pour l’humour. Après tout, ça devait être différent de regarder un film sur ces monstres avant l’invasion qu’après… Les choses étaient terriblement réelles.

Mais à la place, on se tapait un truc de comédie musicale, avec un mec qui faisait son beau gosse et une môme qui voulait déjà être grande. Avec des chansons qui faisaient certainement du bien aux oreilles, ça ouais, mais qui me donnaient pas tellement la patate comme d’autres dans la foule semblaient l’avoir.

Du coup, j’avais fini par me mettre à l’écart, une fois assuré que je ne servais réellement à rien derrière le projecteur. A ce moment-là, je vis Elena Matthewsen, toujours aussi peu sociable… Evidemment. Bon. C’était peut-être ma chance de lui parler dans un cadre plus sympa que d’habitude. Après tout, elle gérait les stocks, et y’avait un truc qui m’intéressait tout particulièrement. Le papier. Elle en avait, je le savais, je l’avais vu en le rangeant moi-même dans sa réserve. J’aurais pu en piquer, mais fallait croire que j’avais été un con d’honnête. Et mes médecins en avaient besoin, dernièrement, y’avait pas mal de nouveaux arrivants, et les dossiers médicaux, c’était important.

J’allais donc la jouer fine, parce qu’elle était fichtrement radine. « Elena ! Quelle bonne surprise de te croiser ce soir… » J’avais pris mon ton le plus ravi possible, même si j’avais juste envie de lui aboyer dessus. C’était le genre de femme qui, je le sentais, pouvait être réceptive à la cajolerie et à la flatterie. Je l’espérais, du moins, parce que si j’allais devoir m’y mettre, j’avais l’espoir que ce ne soit pas pour rien. « Tu as l’air en forme, dis-moi. Quoi de neuf chez les gratte-papier ? » J’en savais rien, moi, si elle avait l’air en forme, j’étais capable de la reconnaître grâce à la lumière générée par les lampes et l’écran, mais alors elle aurait pu avoir un bout de peau décomposé au milieu de la tronche que je ne l’aurais certainement même pas remarqué.

Mais restons sur cette ligne : flatter, cajoler, sourire. Puis faire la demande ensuite. Peut-être que ça marchera. Faites que ça marche, par pitié…

Fallait croire que tenter de faire un compliment à cette peau de vache pouvait être une mission impossible. Est-ce qu’on l’avait si peu complimentée dans sa vie pour qu’elle réponde comme ça, plutôt qu’un merci, tu n’es pas si mal aussi ou même juste merci ? Mais je ne devais pas me départir de mon air le plus jovial possible, ce n’était pas le moment de l’envoyer péter. Du coup, pour cette fois, je laissai couler. Je savais que j’avais mauvais caractère, mais je savais où trouver mon intérêt aussi.

« Peut être pas le plus palpitant, mais en tout cas vous restez utiles. » Et ça, c’était aussi vrai que possible. Certes, je ne l’aurais pas dit de cette façon, mais fallait malgré tout que je valorise un peu son job, surtout que j’avais besoin d’elle en tant que gestionnaire des stocks. En revanche, c’était vrai que je les trouvais utile, tous les syndicats l’étaient pour la bonne marche de la ville. Si l’un s’écroulait, les autres suivraient bien vite, je le savais.

Elena fit en tout cas ensuite référence au travail des scientifiques, et du plaisir de revoir un film. Elle demanda même si nous étions fiers d’avoir réussi à mener ce travail à bout : « Oh ça, oui, même les bricoleurs vont avoir de quoi fêter, ils ont fait le gros du travail quand même. Même si l’électricité est pas encore simple à stocker, ça commence à devenir bon. » Et puisqu’on parlait de mon syndicat je n’allais pas perdre l’occasion de glisser quelques petites allusions, juste pour commencer en douceur.

Puisque les concernés étaient les médecins surtout, tu la menas aussi naturellement que possible sur ce sujet : « Maintenant que ça, c’est terminé, je vais pouvoir me concentrer sur d’autres projets, comme finir la plomberie de l’Hôtel, même s’il y en a pour un moment encore… A mon avis, certains survivants se sont bien battus près des conduits pour avoir tout pété comme ça. Mais y’a aussi les doc’ qui me préoccupent… Ils en demandent beaucoup, sans compter qu’ils sont en rade de papier. »

Et là, c’était le moment de faire le sourire le plus grand possible, histoire que ça passe bien, changer rapidement de sujet : « Mais bon, je m’en sors plutôt bien, et les autres aussi. Le film te plaît ? » Je supposai, vu la tête qu’elle faisait, que non. J’étais prêt à la soutenir totalement dans cette voie de la haine, c’était parfait puisque moi aussi, ça me laissait totalement indifférent. Comme je le pensais un peu plus tôt, j’aurais largement préféré qu’on me refile un Romero ou même Bienvenue à Zombieland, qu’on se marre jaune, l’ironie, tout ça. Une histoire cul-cul-la-praline-je-chie-des-arc-en-ciel, c’était moyen mon délire. Sans compter que je n’étais pas certain de l’avoir réellement regardé, sinon quelques vidéos sur Youtube quand je me perdais dessus, entre deux rendus de devoirs et fabrication de drogue diverse.

J’avais toujours été un mec trop occupé pour les trucs simples de la vie.