Il y avait des jours comme celui-là où rien n'allait. Par un miracle incroyable, un Trouve-Tout avait réussi à mettre la main sur une caisse de whisky intacte et l'avait revendue aux quatre gars du chantier, occasionnant une magnifique gueule de bois chez les principaux concernés. Un apprenti mal dégrossi avait réussi à se planter un clou dans le pied, Dieu seul savait comment, ce qui avait ralenti le chantier en cours le temps de l'amener à l'infirmerie. A peine les hurlements du gamin assez loin pour ne plus les subir, un étai de charpente s'était dévissé comme par magie, provoquant la chute de la presque totalité de la toiture qu'il soutenait. La tôle s'était effondré dans un bruit au moins aussi tonitruant que les vagissements de l'apprenti, une heure plus tôt. Et il avait fallu se plier à l'évidence. Les trois événements étaient intrinsèquement liés. Sauf que cette toiture, cet étai et cet idiot, étaient nécessaires au bon déroulement du chantier. Sans étai fonctionnel, il n'y avait aucun moyen de faire tenir la tôle. Sans la tôle, qu'il fallait redresser sinon ce n'était pas drôle, il n'y aurait pas de toiture. Et sans toiture, il n'y aurait pas d'abri. Le problème n'était pas insurmontable, en soit. Il suffirait de bricoler l'étai pour qu'il soit de nouveau relativement fiable, et de serrer les fesses pour qu'il tienne le temps d'installer une vraie poutre à sa place. Un travail rapide, et pourtant. Pourtant Bob entrevoyait ce genre de journée où rien ne se passe comme il faut, et où même la tâche la plus simple a de faux-airs de sacerdoce. Un début de migraine se réveillait déjà sous ses bouclettes brunes alors que l'équipe de bras cassés qui gérait cette partie du chantier la pressait de leur donner un coup de main.
Elle aurait pu céder. Mais merde, qu'ils se débrouillent, ces idiots. Ils n'étaient peut-être pas charpentiers, mais ils étaient bien capables d'enfoncer un clou dans une poutre en bois. Quoique, en considérant ce qu'il était arrivé à leur comparse, Bob n'en était plus aussi certaine. Si seulement Gabriel était là. Il n'était pas toujours très fin, Blondin, mais il aurait su remonter le niveau sans problèmes. Même si le concéder était particulièrement douloureux au petit bout de femme. Passant une main lasse sur son visage, l'envie de s'époumoner devenue plus pressante à force de gémissements ouvriers, Bob sentit à peine une main se poser sur son épaule. Ce ne fut que quand les doigts s'enfoncèrent dans sa veste qu'elle se retourna brusquement, le poing serré sur le manche du premier outil à portée de main. L'importun cilla. Pâle comme un linge, il fixa alternativement le tournevis et les grands yeux furieux de Bob, une, deux, trois fois. Rentra sa tête dans ses épaules par réflexe.
-Pas le tournevis, Chef !
Expirant sèchement par les narines, pourtant résolument prête à ce qu'il paie pour l'incompétence de ses pairs, Bob considéra le pauvre hère pendant une longue minute. Prendra pour les autres ? Prendra pas ? C'était à voir. Tout ne dépendait que de lui, et de ce qu'il lui voulait.
-Parle. Vite. -C'est les Nourriciers, Chef ! Une vache a défoncé un enclos, il ont besoin qu'on le répare ! -Et pourquoi on l'a pas déjà fait ? -Parce que c'est toi qu'ils veulent, Chef ! -... Moi ?
Le tournevis finit par rejoindre la ceinture d'outils de la jeune femme, accompagné par un soupir soulagé du messager. Surprenant, ça, que les Nourriciers la fassent appeler en personne. Bob avait tendance à considérer qu'outre événements fâcheux, tous ses Bricoleurs étaient aussi capables les uns que les autres à gérer ce type de chantiers. Refaire une clôture n'avait rien de compliqué. Elle se tourna vers l'équipe de bras cassés qui recommençaient à minauder et haussa les épaules.
-Z'avez entendu, le devoir m'appelle. C'est con hein ?
L'un d'eux s'avança vers elle, prêt à plaider sa cause. S'il faisait deux ou trois têtes de plus qu'elle, elle ne s'arrêta pas pour autant de lui tapoter l'épaule avec un sourire goguenard. Puis tourna les talons pour embrasser le pas du messager, sans rien répondre de plus aux complaintes de ses syndiqués.
Les Nourriciers s'activaient sur leurs cultures, s'occupaient à leur bétail avec application. Elle les aimait bien, les Nourriciers. Ils étaient essentiels au bon fonctionnement de Destiny, ils étaient fiables et le steak occasionnel qui résultait de leurs efforts, quand ils abattaient une vache, était quand même pas dégueulasse. Utiles, les Nourriciers. Leur Chef, c'était une sacrée paire de manches, mais outre ce petit détail ils étaient particulièrement respectables. Suivant toujours son guide jusqu'à un enclos un peu plus reculé que les autres, elle laissa son regard glisser partout où il le pouvait. L'odeur de la terre s'entremêlait avec celle des bêtes, harmonie un peu âcre aux faux airs de liberté. Parce que plus elle se tenait loin de mecs à qui elle avait envie de faire la peau, plus elle respirait. S'engorgeant les bronches de l'odeur des vaches, la sensation de faire l'école buissonnière, elle rejoint finalement l'enclos à réparer. Et siffla.
-Ah ouais, quand même !
La vache n'avait pas fait dans la dentelle. Deux poteaux avaient été arrachés sous le choc, les planches pourtant solides qui tenaient autrefois l'ensemble gisaient misérablement dans l'herbe. La réparation ne prendrait pas mille ans, mais il fallait rendre à Marguerite ce qui était à Marguerite : elle faisait un sacré bulldozer. Le messager l'abandonna pour chercher la responsable humaine du foutoir, laissant Bob s'accroupir et examiner les vestiges de ce qui fut autrefois une "putain de bonne barrière". Peut-être pourrait-elle bricoler une sorte de rustine, en rassemblant quelques morceaux, histoire de ne pas trop taper dans les réserves de bois de la ville. Mais non. Marguerite, ou Bessie, quel que soit son nom, avait pris à coeur sa nouvelle vocation de boule de démolition.
Une paire de bottes envahit son champ de vision, suivie de l'extrémité de longues nattes noires. Elle reconnut leur propriétaire avant même de voir son visage. Soupira.
-Ivy Davis.
Elle comprenait mieux, maintenant. Appelée personnellement pour réparer une clôture. Il n'y avait que le père de la gamine pour oser un coup pareil. Il devait se marrer comme un bossu du fin fond d'où qu'il soit, ce connard. Relevant les yeux, puis se relevant tout court, Bob finit par dévisager la jeune femme. Toujours la même. Toujours ces mêmes yeux perçants, trop brillants, toujours cet air de rien qui avait le don de l'irriter, dans les mauvais jours. Et aujourd'hui en était un.
-Fais-moi rire. C'est toi qui m'as faite appeler ou c'est ton père ?
Décidément, il y avait vraiment des jours où rien n'allait. Les bras croisés sur sa poitrine, elle attendit patiemment la réponse, sans même être sûre de la vouloir. Puis soupira lourdement, à nouveau, étreinte d'une bonne vague de lassitude.
-Ca change rien, de toutes façons. La barrière est éclatée, je vais rien en tirer. T'as rangé ton bulldozer au garage au moins ? J'ai pas envie qu'elle nous pète un autre bout de barrière pendant qu'on répare celui-là.
Avait-elle envie de faire dans la diplomatie inter-syndicale ? Non. Encore moins maintenant qu'elle savait qui était responsable de la démolition, quand bien même elle devait en apprécier l'exécution. Embrassant l'enclos d'un regard circulaire, elle chercha des alternatives. Equipée comme elle était et sans autres Bricoleurs dans le secteur, ni même de matériel, elle ne pourrait rien faire de plus qu'une rustine. Mais pour ça, il lui fallait du bois.
-On va boucher le trou avec ce qu'on trouve, pour commencer. Je reviendrai avec des gars plus tard pour reprendre la clôture proprement. T'aurais des outils HS voire même une porte ou de la tôle ?
Ils devaient tous voir à l'économie, en ce qui concernait le matériel. Mais si Ivy était aussi finaude que Bob la connaissait, elle aurait certainement quelque chose à lui filer pour la rustine. Dans tous les cas, la Bricoleuse n'était pas là pour parler chiffons. Et la demoiselle aux longues nattes en face d'elle allait devoir se remonter les manches.
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Sujet: Re: Home Improvement for Beginners || Ivy Sam 30 Mar 2019 - 15:11 —
Ivy M. Davis
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Home improvement for beginners
Les mains sur les hanches, je regardais d’un œil las les dégâts causés par la vache ce matin. Heureusement, la bête avait été mise en sécurité dans un autre enclos, séparée des autres pour ne rien risquer si la folle était atteinte d’un virus ou n’importe. Seulement, si nous avions pu sécuriser les animaux, notre enclos était toujours dans un piteux état et ma réparation de fortune faite ce matin pour que les autres vaches ne sortent avait bien vite été détruite par les autres Nourriciers. Merci les gars. Ça fait plaisir. Je soupirai un grand coup et jetai un œil aux quelques vaches à présent déplacées vers le fond de l’enclos, séparée de moi par quelques cordes tendues. D’accord, ce système avait mieux fonctionné que ma planche placée en-travers du trou, mais je restais quand même un peu vexée. On ne m’avait rien dit en plus.
Nouveau soupir avant d’enfin tourner les talons. Il restait du travail et on m’avait dit que quelqu’un avait demandé un bricoleur pour venir réparer ça. Ça serait effectivement bien mieux réparé que si nous le faisions nous-mêmes. Je ne savais pas qui avait fait la demande et à ce stade, je m’en foutais un peu, à vrai dire. Tant que notre enclos était réparé, c’était tout ce qui comptait. C’est pourquoi je retournai à mes occupations, dans le petit cabanon au milieu des enclos. Il avait besoin d’un bon rangement depuis quelques jours. Quelqu’un avait pris ses aises et foutu un bordel innommable. On n’y retrouvait rien et une multitude de choses trainaient au sol. Je ne voulais accuser personne, mais j’avais ma petite idée du coupable derrière la tête. C’est que l’apocalypse avait fait oublier l’ordre à certains. Contrairement à mon colocataire de chambre, Rhys, qui lui était un maniaco du rangement et me faisait vivre un petit enfer. Mais ce n’était pas parce que nous avions vécu dans le chaos pendant bien cinq années que nous étions devenus des animaux. Surtout ici, où nous avions besoin de ces objets.
Je pris donc le temps de ramasser les outils posés négligemment au sol – dangereusement en plus – puis les reposai à leur place de rangement. Puis j’entrepris de soulever les sacs de graines près de l’entrée. C’est qu’une chose mal rangée en amenait une autre. Heureusement qu’il n’y avait pas énormément de tâches à faire aujourd’hui et que j’avais déjà pu effectuer la grande majorité des miennes malgré l’incident « vache folle » de ce matin.
On m’interrompit dans ma tâche alors qu’un des Nourriciers venait me prévenir que la réparatrice était là. Je fis une légère grimace d’étonnement. « Et tu viens me prévenir moi parce que…. ? » Ce n’était pas moi la cheffe du syndicat ni la responsable de quoi que ce soit. Mais le gamin ne s’en alla pas pour autant. « C’est toi qui l’a réparé ce matin non ? Et t’étais là quand tout s’est passé. Donc t’auras les infos qu’il lui faut. » Je levai un instant les yeux au ciel. Certes, j’avais vu ce qu’il s’était passé, mais c’était une barrière à réparer, pas un crime à élucider. J’estimais que la Bricoleuse serait capable de se démerder sans mes explications. Mais je soupirai et croisai les bras. « Bon ok. Je finis ça et j’y vais. » Je regardai le gamin s’en aller, l’air satisfait et me remis à ma tâche. C’est une fois que j’estimai le cabanon en ordre que je ressortis, me dirigeant immédiatement vers le fameux enclos. Et qu’elle fut ma surprise d’apercevoir la chef des Bricoleurs en personne devant notre enclos cassé. Sa Sainteté nous faisait l’honneur de sa présence en nos champs. J’eus un petit rictus moqueur sur les lèvres alors que je me dirigeais lentement vers elle, traînant mes bottes sur le sol.
L’intéressée m’accueilli d’un soupir et ma moue moqueuse s’agrandit. « Bob. » Parait que la fameuse « Bob » possédait un autre nom, mais personne n’avait jamais vraiment pu en savoir plus. Et personnellement, j’en avais rien à faire. Même si elle avait le mérite de très bien faire son travail, je ne l’appréciais pas plus que ça. Sûrement deux caractères qui ne s’accordaient pas à la perfection. Paraît qu’on aurait dû s’apprécier vu nos origines. Mais ce n’était pas parce qu’elle avait la peau autant noire que la mienne que je me devais de l’apprécier. Quel cliché.
Enfin bref, l’intéressée me demanda bien vite si c’était moi qui l’avais appelée ou si c’était mon père. Je fronçai les sourcils en l’entendant évoquer mon paternel. Qu’est-ce qu’il venait foutre là au milieu. Oui il avait un humour parfois un peu douteux et qu’il adorait emmerder Bob. Mais avait-il seulement entendu parler de cette histoire ? Ça ne m’aurait pas étonnée, vu comme il était impliqué dans tout ce qui composait cette foutue ville. J’allais lui répondre mais la Bricoleuse ne m’en laissa finalement pas le temps. Mais effectivement, si la demoiselle avait été appelée personnellement, ce devait être une mauvaise blague de mon père.
Elle changea de sujet et je croisai moi aussi mes bras sur ma poitrine après avoir pris soin de rejeter mes nattes dans mon dos. « Tu peux admirer la responsable là-bas. » Je désignai du menton l’enclos en retrait, avec en son sein, la vache seule. « Elle est dans l’enclos des chevaux. Il est plus solide et elle risque pas de contaminer les autres vaches si par hasard il y a un problème avec elle. » Elle s’en foutait certainement de mes explications, mais au moins, elle aurait toutes les infos en mains.
Elle m’expliqua ensuite ce qu’elle comptait faire et ce dont elle avait besoin. Je décroisai mes bras et me mis à réfléchir. C’était ce que j’avais fait ce matin, un rebouchage provisoire. Mais évidemment, elle savait si prendre, elle, et aurait de bien meilleures idées que moi. Je me retournai. « Viens. J’te montre ce qu’on a, tu sauras mieux juger que moi. » J’attendis un instant qu’elle me suive et la menai vers le cabanon. « J’ai tenté de reboucher le trou ce matin avec des planches qui trainaient près de l’enclos mais ça a pas suffit pour les autres apparemment. J’ai pas pu réfléchir à autre chose avec la vache qui s’improvisait une sortie. » J’entrai dans le cabanon et regardai autour de moi. « Y’a encore des planches, des cordes, là. » Je désignais les objets au fur et à mesure. « Tu vois un truc utile ? »